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Pourquoi je ne suis pas resté...




C'est Paul Bollard (Besançon 48/51) qui raconte :

Le 3 octobre 1948, je rejoins le dépôt des locomotives de Besançon où est implanté le centre d'apprentissage dans lequel pendant trois années, je vais recevoir l'instruction technique complète qui doit faire de moi : un ajusteur et un ouvrier spécialisé sur locomotives à vapeur.

D'emblée notre promotion de quinze élèves est rassemblée et le Chef de Centre Paul Ecarnot nous présente nos instructeurs : M.M Malandre, Bonnefoux, Bourjault, Meynier et Faller.

On nous assigne notre poste de travail et nous recevons un lot d'outillage (scie à métaux, limes, burins, bedanes, marteaux, etc). Il nous faut à nos frais, fournir un pied à coulisse au 1/50ème et plus tard un palmer au 1/100ème.
Suivent ensuite ces longues stations devant l'étau, à scier, limer, buriner, puis les premiers essais stimulés par le patient Georges Bourjault en même temps moniteur de sport.
Les séances pratiques sont complétées par la théorie : technologie d'outillage, maths, électricité, les matériaux, la technologie des locomotives à vapeur, le chant. Cette matière est enseignée par M. Gentilhomme, professeur de flute à bec au conservatoire. Il nous enseigne de vieilles chansons françaises (les Allobroges, l'appel de la route, la bohême, la chorale des adieux, quand le ciel est bleu, unissons nos voix).

La deuxième année nous permet de nous familiariser avec quelques machines outils, mais surtout d'affirmer nos talents d'ajusteurs. Nous sommes initiés à la forge, à la chaudronnerie, à la soudure.

La troisième année est l'année de la consécration, essais d'ajustage complexes, instruction pratique poussée sur locomotive.

Les vacances scolaires sont agrémentées par des camps de vacances : 15 jours à la mer ou à l'océan, dans les Pyrénées, les Alpes. Et puis, j'oubliais le meilleur, la paye : en première année, environ 10 000 par mois, en deuxième, 20 000 FRF, en troisième, 30 000 FRF et puis, en fonction des résultats chaque semestre, une prime non négligeable à titre de stimulant.

Nous arrivons enfin gonflés à bloc à la fin de ce séjour laborieux, mais combien formateur du caractère, de l'amour du travail bien fait. Le CAP d'ajusteur n'est pour nous qu'une formalité.

Voici arrivé le temps de l'embauche avec ses appréhensions et ses désillusions.
Le groupe " vapeur " est affecté à l'atelier de wagons de Perrigny, travail déprimant, consistant à casser de vieux wagons. On nous laisse clairement entendre que la réembauche à l'issue du service militaire est aléatoire.

Alors, je décide de réaliser mon vieux rêve d'enfant : être militaire. Le 22 octobre 1951, j'arrive au Centre de formation maritime d'Hourtin, d'où je sors deux mois plus tard Matelot de troisième classe. Je quitterai trente deux années plus tard la Marine Nationale avec le grade de Capitaine de Frégate. Mais que de sacrifices, de travail, d'éloignements toujours douloureux lorsqu'on est marié et père de trois enfants.

Jamais je n'ai oublié mes instructeurs SNCF, qui avaient su me mettre " sur les rails ", m'orienter, me guider, me donner le désir d'apprendre et de bien faire.
A la retraite, j'ai réagi, mais trop tard. J'aurais tant aimé leur témoigner ma reconnaissance, seul était encore vivant Georges Bourjault, âgé de 87 ans, qui devait décéder l'année suivante. Nous avions eu une longue communication téléphonique, il se souvenait de nous tous.
Nous avions convenu de nous rencontrer, mais hélas !