Imprimer cette fenêtre Retour page précédente Les conducteurs...
      Si vous ne faites pas partie de cette belle profession, vous aurez sans doute trouvé quelqu'un pour vous donner un avis très éclairé sur ce genre d'individu, jamais content, toujours en train de réclamer quelque chose, quand il ne l'exige pas ! Il se trouve toujours un cadre au chemin de fer pour vous expliquer que si les trains sont en retard, c'est parce que les conducteurs ne sont jamais à l'heure !
Sans vouloir dire que tout est parfait, le gros problème, c'est que ces gens voient leurs petites sphères, sans se douter que le problème qu'ils évoquent est, pour le conducteur, le vingtième de la journée, et qu'il en a ras le bol d'être toujours le dindon de la farce.

      Les exemples ne manquent pas. A la conduite, sur les longues tournées, le conducteur s'organise comme il peut pour trouver un local, boire un café, manger, et ceci est minuté comme une partition de musique, car rien n'est prévu pour lui. Pour le commun des mortels, pisser n'est pas un problème. Pour un conducteur, si ! Au moindre couac, c'est le café du matin qui saute, ou le sandwich qui servait de repas, parce qu'il n'y a plus le temps pour aller le chercher. Et contrairement à ce que peuvent faire les autres agents, il ne sera pas question d'y aller un quart d'heure plus tard. Un conducteur qui a le ventre vide le gardera jusqu'à l'arrivée, 300 ou 500 km plus loin. Pour peu qu'à ce moment là, quelqu'un d'autre lui fasse reperdre les cinq ou dix minutes de battement qu'il avait, il continuera dans l'état. Et c'est comme ça tous les jours...

Et tout le monde s'en fout, tant qu'il ne dit rien !

      Il y a une grande mode actuelle au chemin de fer, c'est que tout le monde a un avis très éclairé sur les causes des retards et difficultés diverses. Mais le problème vient toujours d'ailleurs, et de quelqu'un d'autre de préférence. Il m'arrive souvent de taper sur les cadres, (on ne prête qu'aux riches !), mais j'ai connu beaucoup de gens qui dégageaient en touche au moindre problème, et qui se donnaient beaucoup de mal pour ne pas se trouver dans des galères quelconques, dont ils auraient à répondre.
Les conducteurs, qui font partie de l'exécution, sont bien obligés, eux, d'assumer leurs responsabilités, pour la bonne raison qu'ils sont seuls. Mais comme ils doivent appliquer les ordres donnés par un tas de gens de tous les horizons, il se produit des frictions sérieuses.

      Un bon nombre de cadres, dans les PC où ailleurs, qui pleurent aujourd'hui sur les manques de matériels et de conducteurs ont un peu facilement oublié que c'est grace à leurs gestions successives que nous en sommes arrivés là ! A force de tricher sur l'application de tel ou tel règlement, ou de contourner un certain nombre d'obligations, il était fatal d'arriver sur un mur où il n'était plus possible de réduire quoique ce soit. Comme un malheur n'arrive jamais seul, un sursaut de l'économie a fini d'étrangler une situation qui était déjà précaire auparavant.

Alors, vous trouverez toujours quelqu'un pour vous dire que c'est de la faute des agents, toujours en grève, en retard, pas sérieux, etc...Il faut bien trouver quelque chose, et qui vienne de quelqu'un d'autre !!

      Même s'il ne compte pas, j'ai un avis bien différent. Quand, dans une boite, il y a une grève tous les quinze jours, c'est le patron qui est mauvais ! Pas les exécutants ! C'est le patron qu'il faut changer ! Et quand je dis patron, je pense à tout ce système de commandement, du haut en bas.
Si dans un foyer, un conducteur gueule parce que rien ne fonctionne pour faire chauffer son plat, c'est le responsable qui s'occupe du foyer qui est mauvais ! Pas le conducteur, qui subit l'insuffisance de quelqu'un d'autre.

      Mais au chemin de fer, on a une facheuse tendance à toujours parler des conséquences, et à les transformer en causes, en occultant les véritables motifs... Pourtant, je vous assure qu'un bon nombre de gens, petits et grands, connaissent parfaitement l'origine de ces causes. Mais ces mêmes personnes, généralement des cheminots de souche, sont devenus indésirables dans les hautes sphères, pour laisser la place à des gestionnaires de haut rang.

      Il m'est arrivé une fois de discuter très sérieusement avec l'un de ces messieurs. Il ne m'a parlé que d'argent, de gestion, d'économies, de clients, de marchés, de rentabilité. Il m'a expliqué que je coûtais cher, en tant que conducteur. Il ne m'a pas parlé de son salaire, à lui ! Ni d'usager ! Ni de train ! Ni de service public !
      Ce gars là a voulu faire "peuple" à l'arrivée, et m'a trainé boire un coup. C'est bien connu, les cheminots, ça picole ! J'ai bu un café, lui une bière. Il a payé,... et a demandé une facture.
Pour se faire rembourser les frais de mission...
      J'ai compris au même instant dans quelle merde on était ! Et c'était pas hier...