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Collectionneur chevronné, Gérard Tulasne nous à quitté en 2002 pour rejoindre un autre monde, sans train.

Les cartes postales des Trains à Grande Vitesse, ou celles, plus anciennes, des Chemins de Fer de Touraine n'avaient aucun secret pour lui. Il avait même été jusqu'à éditer des catalogues à l'usage exclusif des passionnés, et je suis très fier de possèder l'un des trois exemplaires en couleur de sa dernière édition.

Entré élève dans les gares, Gérard avait fini sa carrière à la conduite des TGV. A l'occasion de son départ en retraite, il avait fait éditer pour ses amis une carte accompagnée d'un petit texte, écrit à l'origine par Robert Hoffmann (ancien mécano), et modifié par Gérard à la façon de Robert Lamoureux.

Voici ce texte, auquel j'ai ajouté les 4 dernières lignes. Vous comprendrez qu'il n'ait pas pu le faire lui-même.
Je l'ai fait pour lui. Salut Gérard !


Ma vie de roulant n'a pas toujours été pour de l'argent...

Lorsqu'on est petit enfant
On regarde les trains qui passent en sifflant.
Sur les machines qui roulent en fumant
Il y a deux hommes qu'on appelle des agents.
Ils ont la gueule noire : ce sont des roulants !
On rêve d'en faire autant
On ne pense pas encore à l'argent.

On entre à la compagnie à seize ans
Comme apprenti pendant deux ans.
On voit avec envie passer des roulants
Avec des sacs et des gamelles dedans.
L'été, ce n'est pas toujours ragoûtant
Mais on veut quand même être roulant
On gagne déjà un peu d'argent

A dix-huit ans, on ne sait pas les règlements
Mais on débute comme aide roulant.
4100, 4600, 300... On est content
Et ce n'est pas pour de l'argent.

On part soldat à 20 ans,
Cinquante centimes par jour pendant deux ans,
Ce n'est vraiment pas beaucoup d'argent !
On ne pense plus à être roulant.

A vingt-deux ans, on rentre du régiment,
Le chemin de fer a trop d'agents.
Le stage, on l'attend pendant longtemps,
Et pourtant, on a besoin d'argent.

A vingt-trois ans, marié avec enfant,
On revient à l'atelier en espèrant
Que ce ne sera pas pour longtemps.
Car on veut être roulant,
On veut gagner de l'argent.

A vingt-quatre ans, on apprend les règlements.
On est aide roulant, en débutant,
Toujours les 4600, les 300, c'est fatiguant !
Enfin on est reçu Elève Roulant,
Et c'est beau le métier de roulant.

Elève Mécanicien à vingt-six ans,
Avec sa machine et son compagnon,
On se tape les nuits et les patachons.
Et ce n'est pas pour de l'argent
Mais parce qu'on aime la vie de roulant.

Et puis, pourquoi ne pas le dire maintenant,
Pas de censure, soyons francs,
Quand on endormait le chef en le flattant,
Pour avoir un bon déroulement,
C'était pour être heureux en roulant
Et non pas pour de l'argent.

Mécanicien à St Pierre à trente quatre ans,
5400, 8500, 9200, 5100, 7300, 6500
On gagne des minutes et de l'argent.
On a la réputation de dévorants,
C'est comme cela la vie de roulant.

Au bout de vingt cinq ans de roulant,
On reçoit un diplôme et une médaille d'argent.
Deux jours de congé et huit cent francs,
Ce n'est pas beaucoup d'argent.

Un beau jour il a dit, le Président,
On va changer la vie des roulants.
On a lancé des viaducs, coulé du ciment,
Tiré des ficelles où passait du courant.
C'était pas pour gagner plus d'argent.

On est retourné à l'école comme des enfants,
Usant nos fonds de culottes sur les bancs.
Il y avait un tableau noir avec des trucs en blanc,
Qu'on ne comprenait pas tout le temps.
Avec plein de menteurs devant
Qui promettaient beaucoup d'avancement...
On a fait un effort, c'était pour rester roulant,
Sans gagner plus d'argent qu'avant.

A la grand-mère, le soir, à la maison,
On parlait d'excitation, de cab-signal, de tension,
De disjonction, de panne de courant.
Tous deux, on en restait là...sur le flanc...
Ce n'était pas gai la vie de roulant !

Un autre diplôme au bout de trente trois ans,
Et une autre médaille avec un beau ruban.
Et mille cent francs, c'est un peu plus d'argent,
Pour l'arroser avec d'autres agents.

Et maintenant à cinquante ans,
C'est la retraite, on n'est plus roulant.
On va à la paie quatre fois par an,
Toucher bien moins d'argent qu'avant.
Y'en a qui disent : C'est un croulant !
Non, ce n'est pas pour maintenant.
Mais vraiment, c'était bien la vie de Roulant !

Ma vie s'est arrêtée à cinquante quatre ans,
Parce que ça use d'être roulant.
Et je ne suis pas le seul, malheureusement !
Salut à tous, affectueusement...