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L'apprentissage, en 1939...


Marcel Rigourd nous raconte son apprentissage, pendant une époque troublée...!
Quelques remémorations concernant l'école de Rennes et la formation d'apprentis


Souvenirs-Souvenirs : ECOLE D'APPRENTISSAGE DE RENNES 1939-1942
Les collègues de ma promotion ont vécu une période mouvementée du fait de la guerre qui venait d'être déclarée et de l'occupation Allemande qui a suivi la défaite.

Le concours d'accès
Au printemps 1939, nous étions plusieurs centaines de candidats à affronter les épreuves du concours d'entrée à l'école d'apprentissage. Cela se passait dans une des deux vastes halles du marché des Lices à Rennes :

Matin, épreuves de connaissances générales, après-midi tests psychotechniques sur feuilles
(Exemple : dans quel sens tourne la roue dentée finale d'un train d'engrenages en considérant le sens de rotation de la première ? )
Le résultat quelques mois plus tard : réussi ! Mais beaucoup d'éliminés.

Convocation à la visite médicale : bon pour le service !

Ultérieurement, déplacement à VIROFLAY RG, près de PARIS, pour une journée de tests psychotechniques :
Equilibre sur un pied les yeux bandés, chambre sourde pour l'ouïe (frottement ou glissement), test de rapidité sur des machines barbares (pointer le maximum de trous d'une bande déroulante, ou plus simplement attraper un bâton lâché), coordination des gestes (déplacement d'un stylet sur un tracé droit puis courbe à l'aide de deux manivelles), remonter rapidement une pince à linge ou une serrure démontées.

HOURRA ! Vers Août : vous êtes admis comme apprenti (avec une cinquantaine d'autres).
Rentrée prévue le 1er Octobre 1939.
Entre temps, la guerre est déclarée et l'admission reportée au 10 Octobre.

ACCUEIL A L'ECOLE

Le 10 Octobre, nous découvrons, près du pont St Hélier qui enjambe les voies, le lieu de notre apprentissage: Un robuste bâtiment parallélépipédique avec une haute cheminée attenante. Ateliers au rez de chaussée, salles de cours au 1er, vestiaires au sous-sol, de vastes embrasures métalliques retenant des vitres armées bien solides.
Ce bâtiment, ancienne centrale électrique à vapeur qui fournissait l'énergie en courant continu à la gare de Rennes et ses ponts tournants, a des bases solides.
L'atelier de 1ère année était bien équipé : étaux robustes, séparation du face à face avec un solide grillage, outillage adéquat avec gants de coton et lunettes de sécurité....Tout pour une application sans risques de la célèbre méthode CARRARD (Mr VINCENT était notre instructeur).

Ajustement de la hauteur réglementaire de l'étau : coude sur l'étau + poing fermé sous le menton, OK. Nous avons aussi découvert qu'une autre promotion, dite de la Défense Nationale, cohabitait curieusement avec nous, pour une formation de deux ans. Ce qui fait que nous étions nombreux : environ 80 apprentis.

LA FORMATION
Régime de travail pour des jeunes sortant du scolaire classique : 60 h par semaine soit 10h /jour (6h du matin à 18h le soir, deux heures pour le déjeuner). L'apprentissage du burinage (fictif) se faisait avec un burin arrondi, lunettes et gants de protection obligatoires car il fallait frapper la tête du burin au marteau en ne regardant que la pointe ! Bref, nous acquérions l'expérience du métier (même les futurs peintres ! en limant avec conviction le même cube d'acier chaque semaine, à chaque fois un peu réduit. La précision vérifiée avec équerre, pied à coulisse, aidée du marbre et du bâton de craie était notée par l'instructeur en vue du classement semestriel.

La formation théorique n'était pas oubliée : de vastes salles au 1er étage nous attendaient.
Nous fabriquions aussi des accessoires pour coffres à pansements en participation à l'effort de guerre. (Poignées, verrouillages, charnières). Nous devions choisir un filleul de guerre parmi les anciens élèves de l'école afin de leur remonter le moral en leur écrivant. Le mien, un certain LECLAIRE ne m'a jamais répondu !

L'éducation physique
Selon l'adage " une âme saine dans un corps sain " !! nous pratiquions chaque jour une heure de gymnastique (méthode Hébert), nous avions 300 m à parcourir en chantant pour rejoindre le terrain des Vigilants (société cheminote de gymnastique). La méthode Hébert consiste à faire le même mouvement en se déplaçant par groupes en ligne. Nous étions torse nu été comme hiver.

Les Allemands approchent.....
La drôle de guerre se déroulait loin de nous, et le masque à gaz a fait partie de nos accessoires. La SNCF a décidé de déplacer une partie de ses Services Centraux dans nos belles salles de cours. Il nous restait une portion congrue d'espace pour nos études. Dès septembre 1939 de nombreux trains de réfugiés affluaient à RENNES, devenue Centre de réfugiés pour la Bretagne. Ces gens du nord et de Belgique étaient regroupés au centre du Champ de Mars, exténués de leur long voyage. Le 17 Juin 1940 vers 10h00 un fugitif bombardement allemand atteignait les voies de triage de la plaine de Baud. Un train de munitions était garé à côté d'autres convois de militaires et de réfugiés. Un wagon chargé de mélinite a explosé créant un énorme cratère et provoquant par le souffle et les éclats de toutes sortes la mort de 2000 personnes non Rennaises. C'était le carnage absolu ! Les horreurs de la guerre nous atteignaient de plein fouet ! Cette catastrophe se produisait à 300m de notre école, en vision directe. Les solides embrasures de la façade de l'école sont immédiatement soufflées vers l'intérieur et s'abattent sur les établis de 2e année, la nôtre ! Heureusement quelqu'un avait entendu un mitraillage de l'aviation juste avant la déflagration et donné l'alerte. Tout le monde a déboulé rapidement dans les vestiaires du sous-sol, les derniers étant propulsés en avant par le souffle, pas de blessé heureusement.

Le lendemain, 18 Juin, les Allemands entraient dans Rennes.
Les explosions de munitions se sont succédées pendant une quinzaine de jours. Quant à moi, l'après-midi du carnage, je quittais Rennes à bicyclette pour le Morbihan sur les routes encombrées de réfugiés et de militaires désorientés. Retour trois semaines après : Rennes était occupé.

SOUS L'OCCUPATION ALLEMANDE
La reprise des activités s'est faite cahin-caha avec des contraintes dues à l'occupant et à celles d'une alimentation réduite aux tickets fournis par les services de la ville. En temps que J3 et travailleurs de force nous avions droit à double ration ! Des biscuits vitaminés et des pâtes de fruits étaient distribués en atelier. Ces biscuits au goût agréable disparaissaient parfois mystérieusement du placard fermé car certains avaient fabriqué de fausses clés (on n'est pas ajusteur pour rien !) Le rituel de la chanson au pied de l'établi avant la reprise du travail a perduré (la boulangère a mis la robe blanche...par ex.) ainsi que la séance de gymnastique quotidienne.

DURANT LES VACANCES D'ETE.
L'été 1941 avec la reprise des camps de vacances (15jours), pour Rennes cela se passait au château de la MEILLERAIE en Vendée. Toute la promotion n'y avait pas accès, seuls les bons élèves y avaient droit. Les autres restaient à l'école. Mes notes en 1941 étaient insuffisantes, mais pour 1942 j'ai pu y aller. ( app-pho.jpg ) Ceux qui ne partaient pas avaient cependant des activités détendues. Une certaine galerie au s/sol (abri anti-bombes),qui bénéficiait d'un peu de clarté à son extrêmité, était empruntée en catimini pour la lecture instructive d' " Au service de l'amour ". L'escalade de la cheminée, par son échelle intérieure, était aussi intéressante, pour bénéficier de la belle vue alentour.(elle supportait des projecteurs)

APPRECIATIONS.
Durant les trois années d'apprentissage, nous n'avons pas eu de péripéties marquantes en dehors de celles citées.

Nos instructeurs et professeurs étaient sympathiques et j'en garde un excellent souvenir. J'ai appris ultérieurement qu'à la Libération Mr DECORDEY, notre directeur avait eu des problèmes avec le Comité d'épuration. Il a été accusé de nous avoir inculqué des notions nazies, le fait qu'étant sportifs nous effectuions le salut olympique à la levée des couleurs Françaises à certaines occasions ou en camp de vacances. Il est sûr que, hors l'école nous marchions en rangs en chantant pour aller aux Vigilants mais rien de paramilitaire !

FIN DE NOTRE APPRENTISSAGE.
La réussite au CAP est la récompense de nos trois années d'école. En rivalité avec l'Ecole d'Industrie locale nous avons eu 100% de réussite.
Devenus "Mineurs ouvriers " chaque spécialité a rejoint l'Etablissement prévu :
Le Dépôt pour les ajusteurs-chaudronniers-tourneurs
Les Ateliers pour les serruriers et les peintres (deux)
Nous ne faisions plus que 54h/semaine.

LES ANNEES DE GUERRE.
Depuis la catastrophe de 1940 aucun bombardement n'a atteint l'école mais en 1943 un massif raid de B 17 américains prenant en enfilade les voies de la gare a détruit tout le quartier St Hélier, l'école a peu souffert. Mais durant les bombardements de 1944, pour la libération de la Bretagne, la haute cheminée, touchée, c'est effondré sur le bâtiment. Les apprentis de cette période ont dû être relogés en banlieue de Rennes avant d'avoir une école neuve, en bordure des voies, près du pont Villebois Mareuil.

Elle a été fermée définitivement en 1987. (Photos sur le centre, ici)

MARCEL RIGOURD s'est rappelé ! Août 2006